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4 novembre 2006

Femmes d'ailleurs

Au cours d'un midwik gastronomique, festif et cinématographique (j'entends déjà des voix s'élever...), la webmaîtresse m'a demandé de produire quelques textes qui évoqueraient des portraits de femmes du Maroc et qui pourraient être joints en annexe de la polémique sur le féminisme. Comme le mois écoulé m'a vue m'épanouir dans le montage de meubles en kit (et que je n'ai pas terminé), je vous livrerai tout cela en petits morceaux.
Les prénoms, certains lieux, certaines dates, se trouveront modifiés. Mais il s'agit pour toutes de femmes que j'ai personnellement croisées ou connues.

Hafida.

Je l'ai rencontrée il y a une vingtaine d'années. A l'époque elle vivait au Maroc où elle était secrétaire générale d'une association politisée qui se préoccupait de l'émancipation des femmes. Là-bas, c'était un chantier monstrueux. Il s'agissait alors, entre autres, de mettre en place des centres d'alphabétisation dans un pays où régnaient la peur diffuse ou avouée, la censure violente et les intimidations. Bien que nous ayons maintes fois parlé et évoqué son militantisme, je n'ai jamais su en quoi consistaient très précisément les actions concrètes du mouvement. Je sais seulement qu'il s'agissait d'actions de terrain pour soutenir la cause des femmes. Et que cette cause était politisée. Elle ne pouvait pas parler sans mettre autrui en danger.
J'ai vu des photos pourtant où elle devisait entourée d'hommes et de femmes dans une chambre d'étudiant. J'ai le souvenir que l'un d'eux était mort un peu plus tard. Sous la torture.
Hafida est à peine plus grande que moi, un peu corpulente, elle a des yeux pétillants et un regard qui vous transperce. Issue de la pure bourgeoisie fassie, d'une famille aisée, tout aurait pu être simple. Jeune femme d'une grande intelligence et à la personnalité affirmée, elle décide néanmoins de se lancer corps et âme dans la lutte politique et la défense des droits de la femme. Brillantes études d'ingénieur. Elle épouse alors un homme adorable qui, avec la femme, épousera la cause.
Années noires. Sous le règne de feu Hassan II, les parois humides des fonds de commissariats étaient maculées de tâches de sang séché où des mèches de cheveux restaient attachées... Comme une menace, un avertissement. Harcèlement... Hafida restera cachée pendant des mois, chez des amis qui se relaieront pour l'héberger. Son mari aura moins de chance. Pris, torturé, il sera libéré néanmoins faute d'aveux, dans un état physique que je ne décrirai pas. D'autres disparaîtront...
C'est l'époque de Tazmamart, le bagne qui a fait couler tant d'encre, puis qui a été rasé lorsque son existence a été révélée dans la presse nationale, pour ne fournir aucun témoignage.

Eté 1991. Comptoir de vérification des passeports, aéroport de Casablanca.

Le comptoir est vitré. Le douanier examine lentement et soigneusement tous les passeports des passagers du vol en partance pour Toulouse. La queue est interminable, et il faut prendre patience dans un hall surchauffé et bondé. Cela peut prendre une paire d’heures dans un climat qui n’est pas toujours bon enfant. A mesure que je m’approche, je commence à distinguer la série de photos d’identité placées à l’envers contre la vitre du comptoir, face au douanier. Lorsque mon tour vient, tandis que le douanier examine mon passeport, je jette un regard de biais aussi discret que possible.
Je reconnais Hafida.
Climat de suspicion, peur diffuse, regard noir de l’homme en face de moi. Ces types-là ne plaisantent pas. Autour de moi, d'innocents touristes font la queue le sourire aux lèvres, en vacances au soleil. Inconscients qu'ici se joue un combat à mort dans des sous-sols où les cris sont étouffés par des parois insonorisées.
Quelques mois plus tard, Hafida traversera clandestinement la frontière pour rejoindre Paris où elle obtiendra sans peine le statut de réfugiée politique. Elle y vit aujourd'hui avec son mari et leurs enfants.

Il y a quelques années, après la mort de Hassan II, le nouveau roi Mohammed VI a grâcié l'ensemble des prisonniers politiques du pays. C'est ainsi qu'un jour, Hafida, accompagnée de quelques représentants d'associations humanitaires chargés de veiller à sa sécurité, a pris l'avion pour revenir dans son pays pour quelques semaines, sans danger. Après plusieurs années d'un exil douloureux et destructeur...

Je m'entends merveilleusement bien avec elle. Elle est de ces femmes qui n'a pas craint de risquer sa vie. Elle a forcé mon admiration, mon respect. Nous sommes en contact rarement, mais c'est toujours avec la même joie intacte. Ainsi, au mois d'août dernier, nous avons eu l'occasion de dialoguer au téléphone... Elle s'y plaignait de se retrouver en France dans la situation des femmes contre laquelle elle a lutté au Maroc : femme au foyer, élevant ses enfants. Elle, ingénieur brillante, militante pour la cause des femmes, pour que celles-ci puissent travailler, obtenir une reconnaissance professionnelle, gagner leur autonomie financière et s'émanciper des hommes. Car au Maroc, alors, une femme dépendait de son père avant de dépendre de son mari. Elle n'existait pas autrement. La loi lui interdisait de prendre un appartement toute seule. Certaines le faisaient néanmoins. On fermait les yeux tant que cela ne dérangeait personne. Ainsi, Hafida est aujourd'hui dépendante financièrement d'un mari adorable et qui la traite bien, et s'occupe de ses enfants dont l'un est handicapé (raison pour laquelle elle ne travaille pas).

Pour son action, pour les coups d'éclat que cette dernière a suscités, pour sa ténacité et son immense courage, je voudrais lui rendre hommage aujourd'hui.

Janvier 2004. Réforme de la Moudawana (code de la famille)

Quelques points de la réforme

Coresponsabilité - La famille est placée sous la responsabilité conjointe des deux époux et plus sous celle exclusive du père. La règle de « l'obéissance de l'épouse à son mari » est abandonnée.

Tutelle - La femme n'a plus besoin de tuteur (wali) pour se marier, ce qui était obligatoire dans l'ancien texte.

Âge du mariage - Il est fixé à 18 ans pour la femme (au lieu de 15 ans jusque là) et pour l'homme.

Polygamie - Elle est soumise à des conditions qui la rendent quasiment impossible. La femme peut conditionner son mariage à un engagement du mari à ne pas prendre d'autres épouses. Le mari a besoin de l'autorisation du juge avant d'épouser une seconde femme.

Mariages civils - Les mariages faits à l'étranger sont reconnus par la nouvelle moudawana, à condition que deux témoins au moins soient musulmans.

Répudiation - Elle sera soumise à l'autorisation préalable du juge. Avant, c'était un droit exclusif du mari.

Divorce - La femme peut demander le divorce. Avant, le juge n'acceptait la demande que dans le cas exceptionnel où l'épouse présentait des preuves de « préjudices subis » et des témoins.

Garde des enfants - En cas de divorce, la garde des enfants revient à la mère, puis au père, puis à la grand-mère maternelle. La garde de l'enfant doit être garantie par un habitat décent et une pension alimentaire

Enfant hors mariage - Protection du droit de l'enfant à la paternité au cas où le mariage ne serait pas formalisé par un acte. Avant, la règle était la non-reconnaissance de l'enfant né hors mariage.

Non, Hafida, c'était dur... Mais pas inutile. Et ce n'est pas terminé... D'autres, des Fadela Sebti, des anonymes, ont pris le relais et oeuvrent sans relâche...

Frivolettes (à propos de féminisme)

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Commentaires
R
Je ne me souviens plus, mais c'est tout à fait possible, et ce n'était pas il y a vingt ans, mais une petite quinzaine d'années. Il fut en tout cas censuré au Maroc. Il y a depuis longtemps des relations diplomatiques très denses avec le Maroc qui freinent énormément certaines actions.
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H
il me semblait que ce livre avait été interdit quelque temps après sa sortie pour une soit disant cause diplomatique. Le gouvernement de l'époque avait des intérêts à courtiser le roi Hassan II.
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R
Oui, je l'ai lu, j'ai même vu Gilles Perrault à Toulouse à l'occasion d'une conférence-débat à l'occasion de la sortie de ce livre intéressant il y a...une vingtaine d'années. A savoir qu'à cette occasion, il avait déclaré que cette aventure était née d'une lettre qu'un jeune homme lui avait envoyé du PC de Kénitra (au Maroc). Il y avait répondu en le remerciant de lui écrire du Poste de Commandement de K. Son interlocuteur lui répondit qu'il écrivait de la... Prison Centrale de Kénitra ! De là est née un intérêt croissant pour le sort des prisonniers politiques au Maroc. Son enquête est venue ensuite.
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H
Tu as lu bien sûr "Notre ami le roi" de Gilles Perrault?<br /> <br /> C'était CA le texte à mettre en réponse au texte sur le féminisme (enfin, d'après certaines, c'était plutôt l'anti-féminisme).<br /> <br /> nb: j'ai regardé, atterrée, des images hier soir, sur une chaîne du câble (peu importe laquelle, mais ce n'était pas la 1, ni la 2 ni la 3): ces femmes dans un village des territoires occupés, qui s'avançaient , désarmées, face aux soldats israéliens, [armés dans leurs tanks] pour permettre aux hommes du village, planqués dans la mosquée, de s'échapper.<br /> Sous nos yeux (l'oeil de la caméra) des tirs, des femmes s'effondrent, mortellement touchées. Des cris, des pleurs.<br /> Les soldats ont prétendu avoir tiré sur les hommes.<br /> Moi, la gorge serrée,ulcérée, révoltée, au bord des sanglots, mais moi, bien sûr, je n'ai pas mon mot à dire.
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E
Roxane. <br /> J'attends la suite avec impatience.<br /> J'aime beaucoup ton écriture "en kit". <br /> Quant au midwik cinématographique, he bien on verra les films une autre fois hein ?
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