Mon bonheur est dans le pré
Je suis une fille de la campagne. Ceux
qui me connaissent bien ne s'y trompent pas : mes manières sont assez
inélégantes malgré de louables efforts, mes façons rudimentaires et le
ton peut être très direct et franc.
Mais de cette campagne je sais
peu de choses. Mes parents furent peu loquaces sur le sujet, l'une
étant à moitié orpheline assez jeune, l'autre ayant été dans les faits
abandonné par ses parents. Je ne grandis donc pas dans le culte de
l'histoire familiale, et chez moi, les photos se comptent.
Aussi,
lorsque je partis avec les membres fondateurs (dont le mien) en
escapade gersoise, ne soupçonnai-je pas un baptême d'une autre nature
que celui, très républicain, du fils d'une amie blogueuse toulousaine !
Certes, je n'étais pas en terre inconnue : j'allais dans le Gers,
et je me rappellais avec plus ou moins de précision (ma mémoire
visuelle est très déficiente) les mêmes terres millénaires que, bien
des années auparavant, enfant, j'avais foulées régulièrement au titre
de réunions de famille éloignée : de rares cousins au troisième degré
et l'unique grand-parent qu'il me fut donné de connaître, une vieille
increvable sans argent et sans coeur.
Pourtant, par curiosité, je
fis allusion aux maîtres des lieux à ma lointaine parentèle. Je
soupçonne d'avoir été confusément guidée par le désir inconscient de
"toucher" cette terre, et d'être touchée d'elle. Toujours est-il que
vint alors à moi, à pas lents et néanmoins sûrs, une femme d'un âge
canonique, de l'âge de ma mère, à l'oeil vif et bienveillant. Elle
s'approcha comme incrédule, se planta devant moi avec l'assurance
intimidante de ceux qui savent détenir quelque secret enfoui au nez et
à l'insu de tous, avec cette force que la connaissance donne aux
derniers dépositaires d'une histoire qui s'égare...
" Vous êtes la fille de Julia !"
Quelques
mots plus tard, une étrange complicité émue liait cette vieille femme
et moi-même. Elle qui me connaissait mieux que moi-même... Elle me dit
ma grand-mère maternelle, dont je n'ai rien su et l'enfance de ma mère.
Elle-même avait été accueillie, âgée de deux ans à peine, avec ses
parents, par mes grands-parents maternels, alors que sa famille
arrivait dans le Lectourois pour s'y installer, avec pour tout convoi
deux vaches et une charrette. Elle se souvenait avec une étonnante
précision, comme une enfant un peu effrayée par ce déménagement, que ma
grand-mère lui avait servi une boisson pour qu'elle se désaltère.
Elle devint une amie d'enfance de ma mère.
Alors, pour mon plus
grand bonheur, cette mémoire vivante de mon histoire tue m'amena à la
maison même où était née ma mère, quelques quatre vingt-trois ans plus
tôt, et nous fîmes connaissance de l'actuelle propriétaire qui se
laissa séduire par cet étrange pélerinage et me laissa prendre quelques
photos.
Elle m'aurait ainsi accompagnée plus longuement à travers
nos histoires mêlées mais le temps nous manquait. Je sais pourtant que
j'y reviendrai.
Elle me confia, pour ma mère qu'elle n'avait pas
revue depuis cinquante ans, un paquet mystérieux qu'un ruban adhésif
scellait comme un secret intime.
Ma mère, pourtant, l'ouvrit avant que je ne reparte.
Elle contenait quelques gourmandises, pour la bouche.
Et une lettre.
Pour le coeur.
PS : lorsque nous avons rendu visite à la propriétaire, elle nous a montré une aquarelle représentant ladite maison natale. Elle nous a laissés la prendre en photo. Lewis, merci.