La haut ils y sont !
Raymond Devos et le Bon Dieu viennent de faire connaissance. Une rencontre au sommet qui a eu lieu tout là-haut, dans le ciel des artistes, des poètes et des comédiens.
Depuis toujours, depuis une éternité, ça s'appelle le paradis, là où se retrouvent les admirateurs de Baptiste le silencieux et de Frédéric Lemaître le bavard. Là où les amoureux de Garance se donnent rendez-vous.
Raymond Devos et le Bon Dieu se sont immédiatement reconnus. Forcément. Même légèreté. Même énormité. Même aisance pour se balader dans l'imaginaire. Même talent pour créer des univers.
Et puis même façon, justement, de parler pour le paradis. Vous l'aurez remarqué, l'Un comme l'Autre (oui, plus l'Un que l'Autre...) sont antérieurs à l'invention de la télévision. Devos s'adresse à tous ses spectateurs, même celui placé là-bas, tout en haut, qui au risque de tomber doit se pencher pour apercevoir son imposante silhouette. Devos ne joue pas pour les gros plans, les zappettes, les écrans raplaplats, il ne dissémine pas des mots d'esprit plus ou moins convenus dans ces émissions où les comiques sont utilisés pour agrémenter un peu le vide et l'agitation.
Car Raymond Devos était un créateur qui ne badinait pas avec l'humour. Le natif de Mouscron n'était pas un spécialiste des histoires belges. Le gros homme ne prisait pas le rire gras. A l'inverse de tant d'autres de ses collègues, il ne cherchait pas l'inspiration dans les recueils de blagues, mais plutôt dans Gaston Bachelard. Excusez du peu. La terre, le ciel, les éléments, la vie, la mort. Raymond Devos ne rigolait pas avec le rire.
Raymond Devos sur scène, c'était d'abord un corps, gigantesque dans son costume bleu, tout d'un coup aérien quand avec ses bretelles attachées au bas du pantalon, il sautait du piano comme on descend d'une capsule spatiale, évoquant les premiers hommes marchant sur la Lune. C'était un comique en apesanteur. Un jongleur. Un magicien. Un illusionniste capable d'être corpulent sans jamais être lourd, un obèse mais expert en élégance.
Le Bon Dieu vient de s'installer sur un nuage, Raymond Devos a saisi sa clarinette, il se dirige sur la piste divine pour fredonner un vieil air de Giani Esposito : «Ouvrez donc les lumières/Puisque le clown est mort/Et vous applaudissez/Admirez son effort.»
Georges Brassens qui, depuis vingt-cinq ans, autant dire une éternité, s'emmerde au ciel, s'approche de Raymond pour l'accompagner à la guitare. Jacques Canetti, qui passait par là, se demande s'il ne pourrait pas organiser une grande tournée à travers toutes les contrées célestes.
Le Bon Dieu a des larmes aux yeux. Il se mouche dans les étoiles. De mémoire d'ange, ça faisait longtemps qu'on ne L'avait pas vu aussi ému.
Raymond Devos et le Bon Dieu viennent de faire connaissance. Il y en a au moins Un des deux qui a de la chance de rencontrer l'Autre.
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François Morel
(dans Libé et chez Evariste en lien chez Tandem)