Petit (im)précis d’expédition sélénographique
Bouillon d'écriture au long cours par un matelot de retour
Depuis le temps que j’en rêvais. Le voyage est long. Il est cher. Incertain. Le prochain n’est programmé qu’en 2050, environ.
Je suis parti en éclaireur. J’en suis même revenu. Difficilement. On revient de tout, je sais bien.Tout a une faim, qui finit par être rassasiée. Mais là, comment être blasé ?
Des jours durant, j’ai navigué. Dérivé de la mer de la Tranquillité à celle de la Sérénité, relâché dans le golfe des Aspérités et le golfe Torride, sombré dans le marais de la Putréfaction. J’ai arpenté d’un bond et sans seau de hauts plateaux privés d’eau et le lac, asséché, de la Félicité. Gravi sans efforts le haut promontoire des Héraclides, d’où la vue sur le Jura et La Condamine, au loin, est proprement époustouflante. Descendu au fond de nombreux cratères (plus de 6.000 répertoriés) sans rappel ni crainte du réveil des volcans, dans ce pays sans terre, recouvert de basalte et de poussière. Sur place, ces amas de poussières hallucinants, qui peuvent atteindre plusieurs mètres d’épaisseurs par endroits- à faire s’ensabler toutes les bonnes portugaises- sont appelés « régolithe ». Contrairement à la latérite africaine, la couleur dominante n’est pas le rouge ni même l’ocre, mais l’orange. Et le gris. Une ivresse de gris pour photographe antédéluvien d’avant l’ère numérique, avec d’infini nuances, tirant sur le blanc d’Espagne ou le noir charbonneux. J’en fus tout saoul.
Dans cet étrange désert, une nuit que nous avions fini par nous mettre volontairement à la panne car trop dangereusement proches de la terre, il me semble même avoir croisé un prince, trop jeune pour être charmant, mais si attachant cependant ; la mer, au loin, moutonnait. Mais peut-être ai-je vraiment rêvé ? Je suis si souvent dans la Lune.
sources :
Nox Oculis, cartographie lunaire, des origines au XXe siècle