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Frivoli
11 novembre 2005

Achat forcé

Il n’avait toujours pas trouvé de cadeau.

Il tourna à l'angle de la rue, fit quelques pas sur le trottoir trempé, puis s'arrêta lentement : sur sa droite, la vitrine d'une boutique de vêtements et d'accessoires féminins venait d'accrocher son regard. Un coup de tonnerre retentit et il leva les yeux vers le ciel noir. La pluie n’allait pas tarder. Drôle de temps, pour un mois de Juillet.

La vitre lui renvoyait son propre reflet, élancé et dégingandé dans son imperméable beige, mais ses yeux passèrent outre et parcoururent les présentoirs. Deux mannequins aux courbes généreuses portaient des ensembles pantalon-chemisier plutôt charmants. En bas, étalés sur des plans inclinés, s'étendaient des petits hauts (des "tops", comme disaient les filles), tous plus colorés les uns que les autres. Des étagères en plexiglas hébergeaient des sandales et des tongs, des plus sophistiquées aux plus basiques. Une ardoise, enchaînée au plafond, descendait à hauteur des yeux. L'écriture était manuscrite, à la craie blanche, mais les mots avaient bizarrement un aspect austère.

"Début du printemps

Les vêtements raccourcissent
Les couleurs chatoient." 

Il releva les yeux vers le gris du ciel, et sourit du contraste. Son téléphone vibra dans sa poche. Un nouveau message. C'était elle. Et il n'avait toujours pas trouvé de cadeau.
         
"je pe pas 2main, vi1 de suite si tu ve"
         
Une bouffée de chaleur le submergea : toujours pas de cadeau, et vingt-quatre heures de moins pour ses recherches, tout à coup. Il avait besoin de temps. Les yeux vaguement posés sur le premier mannequin et ce magnifique ensemble, il sélectionna le numéro dans le répertoire.
Tuuuuut... Tuuuuut... Tuuuuut... clic.
"Allo ?
- Oui, c'est moi.
- Ah salut ! Tu as eu mon texto ? Je suis désolée, demain j'ai un empêchement."
Pas grave. C'était pas grave. Masquer la déception, gagner du temps.
"Non, ce n'est rien. Dis, je ne peux pas venir tout de suite, là. Je t'invite à déjeuner tout à l'heure ?"
Bruits de gamelles en acier. Casseroles ? Poêles ?
"Par ce temps ? Ecoute, je rentre des courses, mon frigo est plein, et j'allais faire une tarte : tu n'as qu'à venir à la maison plutôt.
- D'accord, mais je ne serais pas là avant 12h30, c'est bon ?
- Sans problème."
Yes ! Cela lui laissait plus d'une heure. Pas beaucoup, mais déjà mieux que rien. Vraiment beau, le chemisier pourpre de ce mannequin.
"Ah, au fait !"
Zut, qu'est-ce qu'il y avait encore ?
"Oui ?
- Tu te souviens de Philippe Frivoli ?
- L'animateur télé ?
- Mais non, pas Risoli : Frivoli. Le gars de ma promo."
Réflexion intense. Un visage et des anecdotes sur le bout de la langue, pas loin, juste à l'entrée de son arrière-cerveau. Flash.
"Ah oui ! Celui qui avait des problèmes d'éjaculation précoce !"
Désormais il se souvenait très bien de l'histoire. Il le connaissait à peine, ce type, mais ça l'avait marqué. Elle rit au bout du fil.
"Euh... ouais, c'est lui. Ben devine où il bosse, maintenant !
- A la banque du sperme ?
- Ah, c'est malin. C'est fin ça tient !
- Désolé.
- Il bosse au magasin de surgelés, celui qui est au coin de la rue où y'a la laverie."
Un camion-benne passa dans une flaque, juste derrière lui, couvrant la fin de la phrase et arrosant le bas de son pantalon.
- Tu me raconteras ça tout à l'heure ? Désolé de te brusquer, mais je suis en ville, là.
- Ok, pas de problème. A tout' !
- Bisous."
Fin de communication. Soupir. Une heure.

Il poussa la porte de la boutique, et un "ding !" tristounet salua son entrée au sec. Pas un seul client, et une jeune vendeuse qui se releva de derrière le comptoir : cheveux courts, les yeux clairs, plutôt jolie dans son pull léger à col roulé.
"Bonjour !
- Bonjour !"

Il aimait bien qu’on lui donne du « monsieur » dans les magasins. Ce n’était pas le cas ici, visiblement. Il sourit mais se détourna rapidement vers les présentoirs, ne voulant pas laisser le temps à la demoiselle de lui demander s'il avait besoin d'aide ou de conseil. Il déambula dans les allées, jetant un oeil aux vêtements. Il était déjà décidé à craquer sur l’un de ces ensembles qu’il avait observé en vitrine. Puis il tomba sur les tongs. La première paire de l'étagère était rose à paillettes, ultra simple : semelle fine, lanière translucide un peu fluo, typiquement des chaussures de plage. Il grimaça : trop flashy. Il y en avait de nombreuses autres : les noires avec le petit talon, imitation de sandale, tongs qui ne veulent pas dire leur nom ; les multicolores, avec la fleur en plastique sur le gros orteil, plutôt grotesques quand on savait le temps qu’il faisait dehors ; les brunes, fines et élégantes, avec une sorte de lanière se fixant probablement autours de la cheville ; les jolies à paillettes, là, couleurs rose fluo...

Son regard était revenu sur les premières du présentoir, comme l'aiguille d'une boussole revient se positionner vers le Nord. Accroché par la brillance d’une paillette, il resta perdu dans la contemplation de cette paire de tongs. L’image de son amie, rayonnante de plaisir en découvrant ces tongs dans un papier cadeau rose, s’insinua lentement dans son esprit. Un coup de tonnerre le fit sursauter. Revenant à la réalité, il regarda dehors par la vitrine : il s’était mis à pleuvoir et un éclair zébra le ciel. Il se retourna, observant la boutique triste sans client et la vendeuse en col roulé. Il sentit ses yeux revenir vers la gondole aux tongs. Vers la première paire de l’étagère…
"Ridicule, il ne fait pas un temps de plage. Non, se dit-il. Pas celles-ci !"

Il fit brutalement demi-tour, se dirigea d’un pas raide vers le comptoir de la vendeuse, et planta ses yeux dans les siens, ignorant la sueur qui perlait sur son front.
"Mademoiselle ? L’ensemble rouge de la vitrine m’intéresse, pour une amie.

- C'est du Jean-Paul Gaultier, collection "Libellule"

Fine comme du papier, légère comme une bulle.
- Je vous demande pardon ?"
Elle s'esclaffa.
"Désolée, répondit-elle, tout sourire, un petit exercice de ma prof de littérature, ne faites pas attention. C’est pour offrir, donc. Quelle taille, votre amie ?"

Chaud. Il avait chaud. La taille ? Il n’en avait aucune idée. Mal à l’aise, il se retourna. Son regard se porta sur la paire de tongs rose à paillettes, la première du présentoir. Il crut les voir pulser d’une lueur rose. D’une lumière mauvaise. D’une lumière moqueuse et revancharde…

***

Il n’avait toujours pas trouvé de cadeau.

Il tourna à l'angle de la rue, fit quelques pas sur le trottoir humide, puis s'arrêta lentement : sur sa droite, la vitrine d'une boutique de vêtements et d'accessoires féminins venait d'accrocher son regard. Le vent se leva et ses yeux observèrent un instant les nuages qui défilaient vers le nord. Peut-être que ça allait se dégager, finalement. Et lui qui avait cru dur comme fer qu’il allait pleuvoir !

La vitre lui renvoyait son propre reflet, élancé et dégingandé dans son imperméable beige (qui soudain lui sembla hors de propos), mais ses yeux passèrent outre et parcoururent les présentoirs. Deux mannequins sans tête portaient des ensembles pantalon-chemisier plutôt quelconques. En bas, étalés sur des plans inclinés, s'étendaient des petits hauts (des "tops", comme disaient les filles), uniformes et sans grande originalité. Des étagères en plexiglas hébergeaient des sandales et des tongs, des plus sophistiquées aux plus basiques. Une ardoise, enchaînée au plafond, descendait à hauteur des yeux. L'écriture était manuscrite, à la craie blanche, et les points des "i" étaient ornés de pétales, marguerites fleurissant parmi les mots.

"C’est bientôt l’été
Et bientôt arrivera
Le soleil. Bientôt." 

Il releva les yeux vers le ciel venteux et lui sourit. Oui, bientôt. Elle était rigolote, cette petite ardoise, et elle donnait envie d’entrer, mais son téléphone vibra dans sa poche. Un nouveau message. C'était elle. Et il n'avait toujours pas trouvé de cadeau.
"je pe pas 2main, vi1 de suite si tu ve"
Une bouffée de chaleur le submergea : toujours pas de cadeau, et vingt-quatre heures de moins pour ses recherches, tout à coup. Il avait besoin de temps. Les yeux toujours fixés sur l’ardoise pendant au bout des petites chaînettes d’argent, il sélectionna le numéro dans le répertoire.

Tuuuuut... Tuuuuut... Tuuuuut... clic.
"Allo ?
- Oui, c'est moi.
- Ah salut ! Tu as eu mon texto ? Je suis désolée, demain j'ai un empêchement."
Pas grave. C'était pas grave. Masquer la déception, gagner du temps.
"Non, ce n'est rien. Dis, je ne peux pas venir tout de suite, là. Je t'invite à déjeuner tout à l'heure ?"
Bruits de sacs en plastiques, de portes de placard qu’on ouvre.
"Euh… eh bien je rentre à peine, tu vois. J’ai pas trop le courage de ressortir. Passe donc à la maison, j’ai de quoi tenir un siège. On se fera un resto-terrasse une autre fois ?
- D'accord, mais je ne serais pas là avant 12h30, c'est bon ?
- Sans problème."
Yes ! Cela lui laissait plus d'une heure. Pas beaucoup, mais déjà mieux que rien. Hé, apparemment il y avait pas mal de choix de chaussures, dans cette boutique !
"Ah, au fait !"
Zut, qu'est-ce qu'il y avait encore ?
"Oui ?
- Tu te souviens de Philippe Frivoli ?
Il pensa d’abord à Philippe Risoli, de la télé. Puis à un camarade de promo à elle, qui avait des problèmes de…
- Qui, ton pote bijoutier ?
La phrase avait franchi ses lèvres sans hésiter. Pourquoi diable avait-il répondu cela ?
- Oui, c’est lui ! Figure-toi qu’il est en train de devenir une star !
Ah, c’était donc lui ? Le petit binoclard chétif, mégalomane et obsédé par tout ce qui brille ? Il ne comprenait toujours pas ce qu’elle lui trouvait, mais enfin…
- Ah oui ? répondit-il poliment.
- Oui, il vient de concevoir un nouveau bijou qui fait fureur, sur la base d’une bille de verre verte et noire. La Frivoli, qu’il l’a appelé.
- Super original.
- Oui, bon, d’accord, n’empêche que ça se vend, et il m’en a promis une pour mon anniversaire. C’est pas choux, ça ?
- Oh si, c’est super choux…
Un camion, estampillé d'un énorme logo en forme de parasol rose (apparemment une marque espagnole) passa derrière lui, couvrant sa réponse.
- Tu me raconteras ça tout à l'heure ? Désolé de te brusquer, mais je suis en ville, là.
- Ok, pas de problème. A tout' !
- Bisous."
Fin de communication. Soupir. Une heure.

Il poussa la porte de la boutique, et un discret mais gentillet "ding !" salua son entrée alors qu’une cliente en robe légère et sandales sortait, le sourire aux lèvres. Une jeune vendeuse se tenait derrière le comptoir : cheveux courts, les yeux clairs, plutôt jolie dans son petit chemisier blanc.
"Bonjour !
- Bonjour !"
       
Il appréciait qu’on lui donne du « monsieur » dans les magasins, mais ce n’était pas le cas ici, visiblement. Il sourit mais se détourna rapidement vers les présentoirs, ne désirant pas laisser le temps à la demoiselle de lui demander s'il avait besoin d'aide ou de conseil. Mais sa ruse ne fonctionna pas, et il en fut très surpris. Cela fonctionnait, d’habitude. Cela aurait dû fonctionner.
"En quoi puis-je vous être utile ? "
La bonne vieille question ouverte, spécialité du commercial. Si on entre là-dedans, on est fichu. Mais comment l’ignorer sans être très malpoli ?
"Je cherche à offrir des vêtements d’été à une amie…
- Oui, le coupa-t-elle en venant à sa rencontre. Quelle genre, quelle taille ?"

Il se rendit compte qu’il n’en avait aucune idée. Il avait chaud. Quelle taille ? Mais qu’est-ce qu’il en savait, nom de Dieu ? Il avait décidé de lui offrir des vêtements, mais sa décision s’étiolait à vue d’œil : des présentations en vitrine plutôt quelconques, et ce fameux problème de taille… mais son esprit revint à la petite ardoise et au vaste choix de tongs.

"Ou peut-être des chaussures ? " répondit-il, sans soucis de cohérence.

La demoiselle ne se départit pas de son sourire (au contraire, eut-il l’impression) et le guida vers une gondole emplie de chaussures d’été. Il y en avait beaucoup, en effet, encore plus que ce qu’il avait vu depuis l’extérieur. La première paire de l'étagère était rose à paillettes, ultra simple : semelle fine, lanière translucide un peu fluo, typiquement des chaussures de plage. Il s’épongea le front. Il avait chaud. Il y en avait de nombreuses autres : les noires avec le petit talon, imitation de sandale, tongs qui ne veulent pas dire leur nom ; les multicolores, avec la fleur en plastique sur le gros orteil, rigolotes ; les brunes, fines et élégantes, avec une sorte de lanière se fixant probablement autours de la cheville ; les jolies à paillettes, là, couleurs rose fluo...

Son regard était revenu sur les premières du présentoir, comme l'aiguille d'une boussole revient se positionner vers le Nord. Il lui sembla les avoir déjà vues. Dans un autre magasin, peut-être ? Quel autre magasin ? C’était le premier qu’il visitait depuis des semaines ! Accroché par le rose brillant, il resta perdu dans la contemplation de cette paire de tongs. L’image de son amie, rayonnante de plaisir en découvrant ces tongs dans un papier cadeau rose, l’emplit soudain d’euphorie. Quel idiot il faisait ! Bien sûr ! Elle adorerait ces chaussures, il en était soudain certain, et il sentit un poids disparaître de ses épaules : ce poids qui pèse quand on cherche en vain un cadeau pour quelqu’un de cher, cette peur de ne pas faire plaisir, ce…

"Monsieur ? Tout va bien ? "

Revenant à la réalité, tremblant, il regarda tout autour de lui. Le vent soufflait à l’extérieur, chassant les nuages. Il se sentit hagard, comme quand on sort indemne d’un accident de voiture. La voix de la vendeuse lui parvenait faiblement, comme venue de loin.

"Si je puis me permettre, je vous conseille ces superbes tongs brunes, celles avec les lanières. Elles se nouent à la cheville, comme ceci, et elles font aussi bien décontracté avec un paréo que distingué avec une jolie robe. "

Il ne la regardait plus, pas plus qu’il n’osait regarder le présentoir. Il fuyait la pulsation rose qu’il sentait au coin de son œil, juste à la limite de son champ de vision. Il s’épongea le front.

"Oui oui, très bien, parfait, je prend les brunes à lanières. En 37, s’il vous plaît.
- Belles et décontractées, loin d'être ridicules
Ces tongs font oublier les bottes et les pulls.

Il eut l’impression d’avoir déjà entendu cela. Quoique. Plus il y  réfléchissait, plus il en doutait.
Elle dût remarquer son air perplexe et s'esclaffa.
- Désolée, répondit-elle, tout sourire, un petit exercice de ma prof de littérature, ne faites pas attention. C’est pour offrir, donc. Je vous fais un paquet cadeau ?"

Oh il voulait bien. Oui, ce serait bien, un papier cadeau. Un papier cadeau rose. Que son amie ouvrirait en souriant, découvrant… découvrant…

***

Il n’avait toujours pas trouvé de cadeau.

Il tourna à l'angle de la rue, fit quelques pas sur le trottoir brûlant, puis s'arrêta lentement : sur sa droite, la vitrine d'une boutique de vêtements et d'accessoires féminins venait d'accrocher son regard. Ce côté de la rue était en plein soleil, et ses yeux observèrent l’astre brillant qui pulsait au centre d’un ciel bleu. Pourquoi fut-il si surpris de le voir là, ce soleil ? Il se le demanda à peine.

La vitre lui renvoyait son propre reflet, élancé et dégingandé dans son imperméable beige (pourquoi diable portait-il un imperméable ?), mais ses yeux passèrent outre et parcoururent les présentoirs. Deux mannequins informes et sans tête portaient des ensembles pantalon-chemisier qu’il trouva très laids. En bas, étalés sur des plans inclinés, s'étendaient des petits hauts (des "tops", comme disaient les filles), tous identiques et de couleurs ternes, évoquant un kaki délavé. Des étagères en plexiglas hébergeaient des sandales et des tongs, des plus sophistiquées aux plus basiques, et elles au moins attiraient l’œil. Une ardoise, enchaînée au plafond, descendait à hauteur des yeux. L'écriture était manuscrite, à la craie rose (rose !), et les points des "i" étaient ornés de rayons, tels des petits soleils éclairant les mots.

"Et voilà l'été

Les chaussettes disparaissent
Les orteils respirent" 

Il trouva l'inscription étrange, baissa les yeux vers ses mocassins de ville, et fit la moue : il avait soudain envie de plage. Son téléphone vibra soudain dans sa poche. Un nouveau message. C'était elle. Et il n'avait toujours pas trouvé de cadeau.
"je pe pas 2main, vi1 de suite si tu ve"
         
Une bouffée de chaleur le submergea : toujours pas de cadeau, et vingt-quatre heures de moins pour ses recherches, tout à coup. Il avait besoin de temps. Les yeux rivés sur le présentoir à chaussures (sympa, ces tongs !), il sélectionna le numéro dans le répertoire.
Tuuuuut... Tuuuuut... Tuuuuut... clic.
"Allo ?
- Oui, c'est moi.
- Ah salut ! Tu as eu mon texto ? Je suis désolée, demain j'ai un empêchement."
Pas grave. C'était pas grave. Masquer la déception, gagner du temps.
"Non, ce n'est rien. Dis, je ne peux pas venir tout de suite, là. Je t'invite à déjeuner tout à l'heure ?"
Bruits de talons sur le carrelage. Juron étouffé.
"Zut, j'ai encore failli me casser la gueule avec ces talons. Tu disais ?
- Je passe te prendre à 12h30 ?
- Sans problème."
Yes ! Une heure pour trouver un cadeau ensoleillé et réserver en terrasse, ça devrait le faire. Tiens ? Vraiment laide, cette paire de tongs brunes à lanières, au troisième rang.
"Ah, au fait !"
Zut, qu'est-ce qu'il y avait encore ?
"Oui ?
-
Tu te souviens de Philippe Frivoli ?
Non, elle ne parlait pas de l’animateur télé. Ce nom évoquait soudain chez lui le soleil, la chaleur…
- C'est pas le gars qui faisait du théâtre avec toi et qui a tourné dans "Combien on s'aime", à Nice ?
- C'était pas à Nice, c'était à Marseille."
Ah oui, c'est vrai. Sur le vieux port, en plein été.
"Devine où il bosse, maintenant !
- Il pêche la sardine ?
- T'es con. Non, il est maître nageur sur la plage de St Trop !
- Sans déc ?
Un cabriolet décapotable, musique à fond, passa juste derrière lui, couvrant sa réponse. Le couple au volant était l’archétype même du duo sudiste : beau brun ténébreux et blonde à forte poitrine. Cocasse.
- Tu me raconteras ça tout à l'heure ? Désolé de te brusquer, mais je suis en ville, là.
- Ok, pas de problème. A tout' !
- Bisous."
Fin de communication. Soupir. Une heure.

Il poussa la porte de la boutique, et un puissant "DING DONG !" salua son entrée dans ce temple des affaires d’été au féminin. Deux clientes, prés des cabines d'essayage, papotaient gaiement et comparaient l'harmonie robes/tongs sur lesquelles elles venaient de craquer. Les tongs étaient décidément à la mode, cette année. Une jeune vendeuse se releva de derrière le comptoir : cheveux courts, les yeux clairs, plutôt jolie avec son petit haut rose. On lui voyait le nombril.
"Bonjour monsieur !"
Le "monsieur" lui fit bizarre. Une seconde, l'idée étrange lui vint qu'elle n'aurait pas dû l’interpeller ainsi. Il hésita. Elle en profita.
"Que puis-je pour vous ? Je suppose que vous ne venez pas pour vous : c'est pour un cadeau ? Pour madame ?"

Il s'était fait avoir. Il s'engagea dans les allées, mais elle contourna le comptoir et le rejoignit en quelques enjambées rapides.
"Eh bien oui, répondit-il dans un sourire, je cherche des chaussures d’été pour une amie.
- Bien ! Nous avons un large choix de sandales, chaussures et tongs ! "

Elle le guidait déjà vers le présentoir des chaussures d’été. Il y en avait beaucoup, en effet, et l’enthousiasme de la vendeuse lui sembla justifié : la gondole était bien plus importante qu’il ne l’avait cru de l’extérieur. La première paire de l'étagère était rose à paillettes, ultra simple : semelle fine, lanière translucide un peu fluo, typiquement des chaussures de plage. Il sourit. Il y en avait de nombreuses autres : les noires avec le petit talon, imitation de sandale, tongs qui ne veulent pas dire leur nom ; les multicolores, avec la fleur en plastique sur le gros orteil, très fun ; les brunes, fines mais un peu étranges, avec une sorte de lanière se fixant autours de la cheville : probablement peu pratiques ! ; les jolies à paillettes, là, couleurs rose fluo...

Son regard était revenu sur les premières du présentoir, comme l'aiguille d'une boussole revient se positionner vers le Nord. C’était celles-là qu’il cherchait : il en fut soudain certain. Accroché par le rose brillant, il resta perdu dans la contemplation de cette paire de tongs. L’image de son amie, rayonnante de plaisir en découvrant ces tongs dans un papier cadeau rose, l’emplit d’euphorie. Elle adorerait ces chaussures, c’était évident, et il se sentit léger, léger d’avoir trouvé LE cadeau qui lui plairait. Une espèce de bourdonnement emplissait sa tête. Il regarda la vendeuse, tremblant mais euphorique. Le soleil donnait en plein sur la vitrine, et la jeune femme semblait ainsi parée d’or.


"Si je puis me permettre, laissez-moi vous dire que la mode est aux chaussures très simples et aux couleurs vives » disait-elle.
Il ne la regardait plus, et son regard déviait vers les tongs, ses yeux se fixant sur la première paire du présentoir. Il voyait la vie en rose.
"Je prend celles-ci ! En 37, s’il vous plaît.
L’index qui pointait les tongs à paillettes tremblait un peu.

- Vous avez trés bon goût, et je vous congratule
Votre dame sera belle, sous cette canicule.
Ces deux petits vers le firent sourire. Elle s'esclaffa.
- Désolée, répondit-elle, tout sourire, un petit exercice de ma prof de littérature. C’est pour offrir, donc. Je vous fais un paquet cadeau ?"

Oh il voulait bien. Oui, ce serait bien, un papier cadeau. Un papier cadeau rose. Que son amie ouvrirait en souriant, découvrant cette paire de tongs roses à paillettes, le plus beau cadeau qu’il pouvait trouver, le plus bel accessoire qu’une fille puisse porter.

***

Il sortit du magasin le cœur léger, comme dans un rêve. Le trottoir était trempé. Il pleuvait à verse. Surpris, il redressa vivement le col de son imperméable beige, et protégea le sac en plastique de son bras. Un sac en plastique rose, contenant un paquet rose.

A l’intérieur de ce paquet, la lueur rose s’était tût, mais elle exultait. 

FIN.

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