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Frivoli
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Frivoli
29 novembre 2009

La canopée rouge

Sur un chemin de terre, un homme roulait une cigarette, debout, près d'un side-car vert, scarabée géant, compagnon de solitude.

La précédente, il s'était pourtant dit que c'était la der des der, juste pour s'écoeurer pour de bon, sentir une dernière fois son coeur s'emballer quand la fumée atteindrait en brûlant sa trachée inflammée par des années d'excès dans ce foutu coin du Brésil. Faut dire que les distractions n'étaient pas légion.
La terre lui avait été confisquée, d'obscurs intermédiaires des trusts Mons**to ou N*stlé l'avaient obligé à se réfugier avec ses quatre enfants dans une cabane de tôle où son épouse réussissait à leur faire cuire chichement quelques haricots rouges agrémentés de bouillon quand une poule rescapée passait par-là.
Puis Maria était partie pour le bidonville urbain avec les enfants pour survivre au prix de quelques ménages et du tri des déchets; et lui avait été contraint de s'employer pour ceux-là mêmes qui lui avaient volé sa terre. Tous les jours il voyait les monstres d'acier grignoter un territoire de forêts aux essences précieuses, enfouir les plantes médicinales pour semer des kilomètres de soja, maïs, palmes bien enrobés d'engrais et défertilisés, grands consommateurs d'eau, de packs technologiques pour des traitements qui leur brûlaient la peau, les poumons et dont les tonnes partiraient en containers engraisser les cochons des ports bretons et abreuver les véhicules européens, sans que lui-même ni ses voisins ne puissent garder quelques grains pour se nourrir, quelques mètres de terre pour faire pousser les semences de haricots que l'ONG leur avait fournies.

Et le ciel au-dessus d'eux s'était inexorablement dégagé, les laissant suer sous un soleil de plomb qui grillait leur peau déjà tannée. La canopée avait disparu, ne faisait plus barrage aux nuages pour qu'ils acceptent de déverser l'eau bienfaisante qui apaisait la peau et le gosier.

Hier le patron l'avait trouvé en train de serrer son sac de grains rouges sous le galetas qui lui servait de lit;
il avait saisi son ceinturon et l'avait cinglé brutalement, sans un mot.
La peau à vif toute la nuit, la rage au coeur, il revoyait le regard de Maria qui l'implorait de le rejoindre vite, de ne pas rester chez ce patron qui lui enlevait droit et dignité, même si ce tyran faisait souvent rattraper les fuyards dans une chasse à l'homme en camion ou side-car et son sang se cabrait sous la colère et l'outrage de son honneur bafoué.
Maria avait raison, il fallait partir.
Il trouverait appui auprès des gars de l'Ong, il travaillerait dans une obscure coopérative, le temps d'obtenir ses visas; il avait déjà glané les mots essentiels de hollandais à force d'entendre la milice du patron échanger les ordres par portable, c'était là qu'il voulait aller.

Ce matin il y avait eu une inspection, des Messieurs avec attachés-cases et cravate qui suaient eux aussi, mais pour peu de temps. Et après s'être assurés que le rendement conviendrait aux actionnaires, que la marge bénéficiaire était suffisante, ils se régalaient maintenant avec les patrons dans ce qui leur servait de mess;
Lui avait vu les bouteilles sortir de leur cachette sitôt l'inspection terminée, le liquide ambré qui glougloutait, la lueur gourmande dans les yeux des hommes. Vu aussi qu'une bouteille s'était répandue, près du hangar...juste à côté des hacheurs de canne à sucre, des rouleaux compresseurs, des buldozers jaune d'or.
Vu aussi le mégot que jetait négligemment le patron en entrant dans le mess.

Alors il avait foncé vers son pageot, retiré de sous le matelas les quelques papiers qu'il possédait encore, foncé vers le side-car du patron, nickelé de vert, dont les clés cliquetaient encore au tableau de bord et pendant que les rires vulgaires des hommes couvraient le crépitement des flammes qui démarraient sec dans le hangar, il s'était tiré, oui, enfin !

          Et là, maintenant, séparé par quelques kilomètres de l'enfer qui devait exploser sur ses terres perdues, il s'en allumait une dernière en regardant monter vers le ciel et s'accrocher à quelques arbres rescapés la canopée rouge de ses espoirs.


(Le canapé rouge)

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Commentaires
G
dit-on vraiment un pageot pour un pieu ? c'est du vocabulaire de quel degré, ça ?<br /> peut-être que oui, je devrais écrire la suite pour Noël, je vais être moins prise car décidément impossible d'organiser un concert de Noël avec bougies, vin chaud, théière fumante, musique...faute de relai vers un piano.<br /> mais la maison vous reste ouverte pendant ces fêtes, avec feu de bois le plus souvent.<br /> Je ne refuse pas quelques branchettes sèches pour alimenter...ou feuilles de figuier rescapées.<br /> Tiens, ce pourrait-être ma liste de Noël.<br /> Et vous, une liste ésothérique, improbable et aléatoire ?
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G
oh, ouf, Honey ! j'ai cru que tu avais fermé pour solde de tout compte ton blog perso !<br /> mais je vois qu'on y accède encore par le lien à droite... donc un jour, peut-être ?.....
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T
Merci Giov !
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A
A quand la suite? Bises.<br /> Agnès.
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H
Giovinetta, bravo, bravo, bravo!<br /> Enfin bravo quoi.
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