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Frivoli
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Frivoli
21 juillet 2005

Des tongs roses - Roxane-

J’attendais depuis quelques minutes. Nous nous étions donné rendez-vous à « L’Escale », un café à l’angle de deux rues piétonnes, dans le centre de la ville. Il était tôt, j’étais arrivée  en avance. Mon cœur battait trop vite, je regrettais déjà d’être venue. Cette idée était stupide et je ne tarderais pas à la trouver totalement ridicule. Comment pouvait-on espérer rencontrer des hommes sur Internet ? Seulement maintenant j’y étais, et à moins d’ajouter la lâcheté à l’impression déjà envahissante d’une situation risible, je devrais bien aller jusqu’au bout et affronter mon interlocuteur.
J’essayai de me détendre en observant l’horloge un peu rococo, lourdement décorée, qui trônait au mur derrière le comptoir, puis je me dis que les gens installés aux tables autour de moi allaient bientôt remarquer mes tentatives désespérées de concentration sur un objet aussi dérisoire et en déduiraient aussitôt l’origine de ma présence.
« madame no mo ne me sufize plu je desir vou voir ». C’était le contenu du sms qu’il m’avait envoyé au bout de quelques heures de dialogues sur le site de rencontres. J’avais fini, après qu’il eût beaucoup insisté, par lui donner le numéro de mon portable. Dans un élan désespéré j’avais donné rendez-vous, et je me retrouvais là, pitoyable et sotte, devant une tasse de café muette, au milieu de tables animées. Les groupes autour de moi parlaient, riaient, vivaient, existaient avec naturel, comme une évidence. Moi seule, au bout milieu de ce brouhaha que rien ne pouvait faire taire, je crevais l’écran par mon silence, je brillais de solitude minable, j’étalais lamentablement mon isolement. Dans quelques années, on retrouverait mon cadavre décomposé depuis trois semaines au pied de la baignoire dans ma salle de bains. La pauvre a dû
trébucher en sortant de son bain. C’est dur de vivre seul de nos jours. Et si jeune ! Elle était gentille, elle avait toujours un mot pour moi le matin en allant travailler lorsque j’étais à la fenêtre, diront les vieilles increvables de ma rue.
Mais avant cela, et pour que ma déchéance soit totale, pour n’avoir rien à regretter, j’attendais un inconnu qui m’avait envoyé un long vers illisible et sans intérêt… Pourtant j’avais envie de le voir… Trop de silence dans ma vie peut-être…
Mon café avait tiédi. Et avec lui l’angoisse. Une petite dizaine de minutes de retard auguraient assez bien d’un rendez-vous raté. Cela me rassurait. C’aurait été une erreur lamentable, un échange affligeant. J’imaginai le pire : un homme arrivant avec un sourire pathétique aux lèvres, fringué comme un as de pique, chaussé de tongs roses à paillettes, et se précipitant vers moi en me reconnaissant (j’avais commis l’erreur ultime : lui donner mon signalement précis…). Je crevais de rage à l’idée d’avoir été si sotte et naïve. On ne rencontre personne d’intéressant sur Internet !
Vingt minutes maintenant, et l’attente commençait à se prolonger trop pour ne pas en tirer des conséquences définitives. C’était désormais évident, il aurait forcément porté des tongs roses à paillettes, une collègue du bureau serait entré à ce moment-là dans le café et m’aurait vu en conversation avec un loser pailleté, c’en était fini de ma carrière commerciale. Et que dire des incontournables longueurs dans la conversation, de la gêne croissante entre deux quasi-inconnus.
Au bout d’une demi-heure, je me décidai à quitter ce café trop enfumé et bruyant pour aller flâner dans les rues pavées et commerçantes du centre ville. L’air était déjà chaud en cette matinée de juin et l’après-midi serait probablement accablante de chaleur. Je poussai la porte,  pris une grande bouffée d’air à l’extérieur et avançai d’un pas sur le trottoir. Peu de monde ce matin, décidément. Au moment où la porte allait se refermer lentement, étouffant le vacarme des rires et
des conversations trop fortes, je vis un homme arriver en courant vers le débit de boissons que je venais de quitter, une serviette de cuir à la main, en costume sombre, l’aspect assez jeune mais déjà mûr. Sans prendre le temps de jeter un coup d’œil sur le trottoir tandis que j’hésitais à m’éloigner, il entra précipitamment. Je ne fus pas étonnée de le voir ressortir quelques secondes plus tard, avec la nonchalance déçue des gens qui sont arrivés trop tard. Il fit quelques pas sur
le trottoir avant de s’arrêter et allumer une cigarette. C’était lui, bien sûr, chaussé de cuir noir. Il devait sortir du bureau et avait été retardé. Quelle idiote je faisais… En tongs roses…
Je réfrénai une violente envie d’éclater d’un rire sonore.
Je ne savais plus quoi faire. L’aborder devenait difficile après mon stationnement étrange à quelques pas de lui… Quoique… Il ne m’avait pas vue… Pas encore…
Je l’approchai lentement. Il allait forcément me reconnaître. Alors que j’arrivais à sa hauteur, il finit par relever la tête et m’aperçut. Je crus voir une incrédulité curieuse dans son regard.
« Je suis désolée, je n’avais pas votre signalement, et comme vous aviez du retard… Je vous ai attendu une demi-heure… » dis-je en guise d’introduction.
Il sembla prendre une éternité pour me dévisager et se décider  à me parler.
« Mais ce n’est pas grave !
- J’espère que rien de grave ne vous a retardé ! » ajoutai-je sans conviction. Le dialogue allait rapidement devenir pathétique, à ce train-là.
Il fronça les sourcils d’incompréhension.
« Je ne comprends pas, je n’ai que cinq minutes de retard !
- Pas du tout, éclatai-je de rire, vous deviez arriver à midi trente.
- Ah !
- Nous avons dû mal nous comprendre, il y a souvent des malentendus sur le chat, ce n’est pas un outil facile à manier. »
Au fur et à mesure que je parlais, je vis son visage se détendre totalement.
« Je comprends mieux, finit-il par dire. Ecoutez, nous allons prendre un verre au café au bout de
la rue. Ce n’est pas la peine de rester plantés sur le trottoir !
- Je suis d’accord, et je commençais à désespérer de vous voir arriver, j’ai envie de prendre un verre en bonne compagnie !
Quelles sottises mensongères peut-on dire quand on devrait se taire, tout simplement…

Nous bûmes, parlâmes, il souriait souvent, écoutait avec attention. Je ne l’imaginais pas ainsi, aussi attentionné et réactif. Il était charmant, inattendu.
Et puis, trop tôt peut-être, mais nous en avions tellement envie, j’acceptai son invitation à déjeuner dans un snack, dans une rue voisine. Il me proposa ensuite de marcher un peu avant de nous quitter.
Nous déambulâmes longtemps, interminablement, sans jamais cesser de sourire et de parler. Il avait de l’esprit et était cultivé, j’aimais à faire preuve de répartie. Nous partagions beaucoup de préoccupations communes.
Nous ne nous quittâmes pas ce soir-là, et c’est sans plus aucune gêne, sans hésitation, que je lui proposai de venir passer la nuit chez moi, pour y faire l’amour et la tendresse.

Ce n’est que quelques semaines plus tard, dans un grand éclat de rire, qu’il m’avoua qu’il n’était pas mon contact internet mais qu’il avait eu envie de faire ma connaissance dès qu’il m’avait vue.
Son rendez-vous était professionnel et il s’était trompé de café…
On rencontre des gens formidables sur Internet.

Roxane

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Commentaires
H
Roxane, le pire c'est qu'il t'a même pas invitée à notre pik nik...tu aurais assisté à un vrai défilé de tongs!
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R
Je suis un peu gênée de voir que Monsieur Lewis a posté un texte avant correction et qui n'était pas vraiment destiné à cela, mais bon...<br /> Le pire est que je ne suis même pas membre!!! Le même a honteusement détourné ma lettre de candidature. Bon mais c'est vrai qu'elle était chiante comme la pluie... mdr<br /> Joyeuse écriture et bonnes vacances.
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S
Je ne suis pas le moins du monde étonné de la maîtrise rédactionnelle de miss Roxane... Mon propre texte ? J'y travaille, j'y travaille...<br /> STV.
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